Oui, je peux parler d’amitié entre Marcelle Cahn et moi-même malgré la différence d’âge : près de quarante ans. Tout d’abord, il me faut vous relater comment j’ai été conduit à la rencontrer. Bien sûr, je connaissais le grand tableau de la collection du musée de Strasbourg qui était exposé à ce moment là. Il ne l’est plus (au moment où j’écris ces lignes), car il est en mauvais état. Marcelle Cahn avait ajouté de la farine à la peinture pour obtenir de la matité. Mais la farine se conserve mal, elle se détériore avec le temps, non seulement en prenant une couleur brune mais, surtout, en étant à l’origine de décollements. Et donc ce tableau est perdu, à moins d’une restauration très sérieuse1.
Je le trouvais fort beau…mais pour moi l’acquisition d’une œuvre de Marcelle Cahn me semblait hors de mes possibilités. Ce qui est dans un musée ne l’est plus pour un particulier. A l’époque, étant chercheur, j’étais membre de comités nationaux qui se réunissaient à Paris. Je participais également à la rédaction d’un livre de biochimie édité dans la capitale. Cela me conduisait à de fréquents déplacements et, comme je suis d’un naturel curieux, j’en profitais pour flâner dans le quartier de Saint-Germain où les galeries étaient encore nombreuses. Il y avait, rue de Seine, une galerie tenue par Madame Heller, qui portait son nom. Elle y présentait des artistes historiques comme Richter, Masson et aussi Marcelle Cahn et Henri Nouveau que j’aime bien et qui est un peu oublié. Elle avait vendu dans l’après-guerre des tableaux de Paul Klee qui étaient à ce moment-là tout à fait accessibles. Il y avait un tableau de Marcelle Cahn que je trouvais beau, mais un peu cher pour un budget de chercheur contractuel au CNRS. Pourtant, un jour, m’étant enfin décidé à acheter cette peinture, je me rendis à la galerie et constatai qu’elle était partie. Marcelle Cahn l’avait offerte à son avocat comme honoraires pour une affaire où il l’avait aidée2.
Vous pouvez imaginer ma déception ainsi que celle de Simone Heller. Les choses en seraient restées là si je n’en avais pas fait part au conservateur du musée d’art contemporain de Strasbourg, Jean-Louis Faure, qui me dit tout de go « Mais allez donc la voir, cela lui fera plaisir. Elle sera très heureuse de faire votre connaissance et ainsi vous pourrez peut-être acheter des œuvres directement tout en lui rendant service. » Il m’a donc donné son adresse à la Fondation Galignani, boulevard Bineau, à Neuilly, et très facilement accessible pour moi (métro Sablons !) à l’occasion de mes réunions parisiennes.
J’écrivis donc à Marcelle Cahn. Peu de temps après je recevais sa réponse où elle me disait qu’elle voulait bien me recevoir.
92 Neuilly-sur-Seine, le 28 octobre 1970
89,
Boulevard Bineau
Cher Monsieur
Je vous remercie vivement de votre aimable lettre. Cela me fait grand plaisir que vous aimiez ma peinture, que vous vous penchiez sur elle avec tant d’attention et de compréhension.
Je serai contente de faire votre connaissance lorsque vous serez à Paris. Vous me proposez la date du 12 Novembre, je me permets de vous demander de bien vouloir me confirmer votre visite quelques jours avant votre arrivée.
D’ici là, je vous envoie, Cher Monsieur, mes sentiments les meilleurs.
Marcelle Cahn
Voilà les choses en route. Et, profitant du moment où j’étais à Paris, je suis resté un jour de plus pour lui rendre ma première visite. C’était le 12 novembre 1970 ; une journée historique puisqu’on enterrait le Général de Gaulle. Je m’en rappelle bien, Paris était presque ville morte. Tous les gens étaient à Notre-Dame. Je suis allé à pied à Neuilly depuis la rue du Sommerard dans le quartier latin où était l’hôtel Vetter, un hôtel bon marché où j’avais mes habitudes et où il fallait tenir le haut de l’armoire quand on ouvrait la porte. Ce fut une belle promenade et j’étais curieux d’aller au-delà de l’Arc de Triomphe, ce que peu de curieux font. Cela m’a pris deux heures et je suis arrivé à la Fondation Galignani où l’on m’a conduit à la chambre de Marcelle Cahn. Elle se trouvait en haut d’un petit escalier près de la chapelle, tout à fait isolée à l’extrémité de la Fondation. Elle m’accueilli avec beaucoup de chaleur et nous avons bavardé. Elle a habilement exploré qui j’étais.
Elle vivait à ce moment-là dans une chambre assez petite et venait de rentrer à la Fondation de façon assez précipités ce qui explique qu’on lui ait attribué la chambre qui était réservée aux cas urgents.
Précédemment, elle avait un atelier rue Daguerre où elle ne pouvait plus rester en raison d’une maladie. Une cousine, Madame Madeleine Langevin, qui s’occupait d’elle, lui avait découvert la Fondation Galignani qui pourrait la recevoir.
Rue Daguerre, elle occupait un atelier voisin de celui de Jean Legros. D’après les dires de sa femme, Micheline Legros, l’atelier de Marcelle Cahn était peu confortable et ne pouvait guère accueillir quelqu’un de fragile.
Revenons à cette Fondation. Les frères Galignani étaient des éditeurs qui avaient fait fortune et étaient restés sans descendance. Ils avaient créé cette fondation pour recevoir les personnes âgées et des chambres étaient réservées à des artistes dépourvus de moyens mais également à des scientifiques et leurs familles. Voilà à quel titre Marcelle Cahn fut accueillie. C’est un magnifique bâtiment avec de fort belles chambres à haut plafond avec vue sur un jardin, à l’abri du boulevard Bineau. Les pensionnaires ont une grande liberté d’aller et de venir. J’allais oublier le grande et lumineuse salle à manger ainsi qu’une salle de télévision dont Marcelle Cahn ne profitait pas du tout. Elle avait bien d’autres choses à faire.
C’est un endroit qui lui convenait parfaitement. Au gré des pensionnaires, les repas étaient servis, soit dans la salle à manger, soit dans la chambre, ce qui était le cas pour Marcelle Cahn. Elle n’aimait pas l’ambiance de la salle à manger où l’on était curieux à son propos. Mais elle ne vivait pas retirée du monde, rangée dans une maison de retraite. Elle allait et venait. Se rendait aux vernissages de ses nombreux amis artistes, recevait chez elle ou bien sortait.
Elle était entourée et poursuivait « ses recherches » comme elle aimait à dire…
Il me faut revenir à la petite chambre qu’elle occupait à ce moment-là près de la chapelle. Car elle n’y était pas seule. Elle était entourée des œuvres de toute sa vie ; il y en avait partout ! Je me souviens du grand tableau blanc fort beau avec des lignes qui était placé derrière son lit. Sur un mur, il y avait tout un rangement sur lequel se trouvaient de nombreux petits formats, des cartons à dessins remplis, des caisses pleines de ses archives dont une partie est désormais au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg à la suite de mon intervention. C’est impossible à décrire. Quand on bougeait, il fallait déplacer une peinture ou un carton. Marcelle Cahn vivait là ; elle y travaillait calmement. Ses œuvres sont parties à la galerie Denise René quand elle y négocia un contrat. Cette pièce, elle l’a quittée quelque temps après pour une belle chambre au rez-de-chaussée, grande et confortable avec une salle d’eau. Durant cette première visite, nous avons fait une promenade à travers ses œuvres qui étaient à portée de main. Bien sûr nous avons évoqué Strasbourg dont elle avait gardé un excellent souvenir et elle s’est remémorée sa vie d’alors. D’autres ont déjà rapporté cette histoire et je n’ai rien à ajouter à ce qu’ils ont écrit. Evidemment, les endroits qu’elle évoquait avaient pour moi une résonance. Ainsi la rue Lamey où elle avait habité, était la rue où vivait à ce moment l’un de mes amis, etc. Nous partagions une complicité de patriotes même si à l’époque où Marcelle Cahn avait été strasbourgeoise, j’étais à peine né. Malgré la guerre beaucoup d’endroits n’avaient pas changé, mais les gens qu’elle y avait connus, n’étaient plus là.
Bien sûr les noms qu’elle évoquait comme Fernand Léger, Jean Arp, Michel Seuphor, Cercle et Carré et autres ne m’étaient pas inconnus. Camille Claus m’avait parlé de Jean Arp qu’il avait invité chez lui lors de la remise de la donation qu’Arp avait faite au musée de Strasbourg. La cérémonie se déroulait vers midi et nos édiles d’alors n’ont pas eu le geste de l’inviter à déjeuner. Marcelle Cahn avait une grande tendresse pour Jean Arp. Il lui donna le surnom de « Bipele » qui, en alsacien, est un mot ambigu. Tout d’abord c’est un poulet, de plus, le nom évoque aussi une personne qui a des grandes jambes, haute sur patte. Etre appelée bipède intriguait beaucoup Marcelle Cahn. Je ne suis pas sûr qu’elle connaissait tous les sens de ce mot, bien qu’elle parlât le dialecte. Il nous arrivait de bavarder en alsacien : « Ah ! Ce Hansel qui avait beaucoup d’humour, ce grand farceur de dada. » Elle évoquait sa mère qui avait été très active dans la vie musicale strasbourgeoise mais également son frère Robert, strasbourgeois également, qui a donné un très beau tableau au musée. Elle ne m’a presque jamais parlé de son père. Bien sûr je ne me permettais pas de lui poser des questions sur sa vie personnelle. Elle a peu évoqué le temps de la guerre sauf qu’elle l’avait passé avec sa mère dans le midi et qu’elles bougeaient beaucoup par crainte d’être arrêtées. Je sais qu’elle a connu des temps très difficiles dans l’après-guerre où elle a vendu des meubles de famille, sans aucun regret, pour vivre modestement.
Puis sa famille l’a prise en charge. Sa cousine Madame Langevin s’est beaucoup occupée d’elle. Sa conversation était émaillée de « Vous voyez ce que je veux dire ? », question de peintre… Cette première visite fut éblouissante et je crois pouvoir dire que nous étions contents de nous être rencontrés.
Nous nous sommes revus le plus souvent le soir, après mes réunions pour lesquelles je venais à Paris. Je la conduisais à la Coupole qu’elle aimait bien et qui lui rappelait des souvenirs ou bien dans un bon restaurant à proximité de la Fondation Galignani. Car il faut dire qu’elle aimait bien manger, goûter de bons vins et qu’elle était très diserte.
Marcelle Cahn avait besoin de peu et menait une vie totalement consacrée à « ses recherches ». Elle était un exemple « d’artistes pour les artistes » comme disait Tomasello. Cela ne l’empêchait pas d’être soigneuse de sa personne, toujours élégante dans sa simplicité portant souvent un beau collier (je l’ai su alors qu’elle se préparait pour recevoir des visiteurs).
Elle lisait et avait une bibliothèque fournie en bons ouvrages, ayant étudié la philosophie. Elle était au courant de l’actualité politique et s’intéressait à l’Etat d’Israël. Elle vivait modestement mais pas en ermite et se consacrait aux choses vraiment importantes.
Venons-en à ses « recherches ». Elle n’avait pas d’atelier ou plutôt, son atelier était partout où elle était. Et son endroit favori était son lit. C’était souvent le seul endroit dégagé. Elle s’asseyait dessus et ouvrait les boîtes contenant son matériel. Elle employait souvent des objets trouvés. Bien sûr, comme elle recevait du courrier, les enveloppes constituaient un des points de départ de « ses recherches ». Elle utilisait les cartes postales qu’on lui envoyait et vous les retournait enrichies, mais aussi des photos de ses œuvres ou encore une belle lithographie tirée à partir d’un de ses tableaux.
Evidemment les gommettes étaient de la partie et ses amis, dont moi, parcourions les papeteries à la recherche des gommettes qu’elle voulait ; j’ai fait souvent cette chasse. Mais lorsque la trouvaille était trop excentrique, elle ne l’utilisait pas. Souvent elle a crée devant moi et je restais témoin, muet et admiratif, de son travail. Je peux vous en parler, car elle m’a appris beaucoup. Elle prenait une feuille où elle posait temporairement une première gommette, collée par le coin ; il faut bien qu’il y ait une première ! Mais sa place était provisoire. La deuxième était placée, puis une autre et alors la première n’était plus à la bonne place et il fallait la décoller et la mettre à un autre endroit, etc. Le tout pouvait aboutir assez vite à une œuvre, ou bien être mis de côté pour être repris un autre jour. Ce qui m’a toujours étonné, c’est la dimension « cosmique » de son travail. Par la suite, j’ai eu l’occasion de disposer ses collages sur de grandes feuilles blanches, bien plus grandes que l’œuvre elle-même. J’ai alors constaté qu’ils rayonnaient dans le blanc et n’étaient pas du tout perdus dans le grand espace; bien au contraire, ils le commandent et l’ordonnent. C’était tout à fait étonnant. Cette conquête de l’espace avec de pauvres moyens est la grande force de Marcelle Cahn.
Mais, il y a un mais. Le décollement des gommettes rend le collage fort fragile. Elles se décollent ! J’ai ainsi vu des collages dans une enveloppe, les gommettes toutes décollées et la feuille vide signée. Drôle d’affaire, car nous touchons là à l’art conceptuel.
Tout est là et rien n’est là. Il n’y a guère de moyens de restaurer un collage dans un tel état sauf si on dispose éventuellement d’une photo ! Dommage ! Marcelle Cahn n’était pas préoccupée de technique ; cela ne l’intéressait pas du tout. Ceci explique la farine ajoutée à la peinture et les gommettes repositionnables dont la colle n’est pas faite pour tenir. Il convient d’en prendre grand soin.
Pour ma part, ceux que je possède ne sont pas encadrés et sont conservés à plat. De temps en temps, elle ajoutait du crayon, de préférence noir, pour rehausser un œil dans un collage à partir d’une carte postale ou pour marquer un personnage. Il ya même certains collages pour lesquels le dessin est important. Bien sûr il lui arrivait de se servir de ciseaux pour découper une gommette. Le plus fascinant était ses collages sur carton d’invitation ou sur des photos de ses œuvres. Par cette façon de compléter ses propres œuvres, comme si elle n’avait pas tout dit, elle a été pionnière. Elle aurait pu en faire un arbre généalogique ; innombrables variations d’un thème. Tout cela avec une grande rigueur.
Ce qui rend son travail passionnant c’est qu’elle a dépassé le constructivisme en y ajoutant du lyrisme. Ses œuvres ont du cœur et elles chantent. Claude Bouyeure a écrit un texte qui résume ce que j’ai toujours ressenti :
« Têtue et solitaire. Mais sans amertume, sans nostalgie aucune. Obstinée et libre tout à fait. La fée ultime. L’irrévérence des contes de fée. Celle qui vient quand on ne l’espérait plus. Quand les autres ont déjà tout distribué, oubliant l’essentiel. Alors comme par hasard, comme par distraction, survient l’indispensable, et on constate qu’avant rien n’avait été fait. » (Cimaise, n° 115-166, 1974). Parlons des expositions qu’elle a eues à Paris. Je me rappelle celle organisée en 1971 dans une petite galerie, la galerie L55, dans laquelle nous nous sommes rendus ensemble. Je la trouvais très belle et elle m’a empêchée d’acheter un collage que j’aimais beaucoup. Il faut dire que les œuvres de Marcelle Cahn ne se vendaient pas et que les prix étaient tout à fait à ma portée. Excusez-moi de parler de ces choses-là. Je les mentionne simplement pour vous dire que vous aussi vous pouvez collectionner des œuvres intéressantes que vous aimez.
Le Centre National d’Art Contemporain organisait des expositions décentralisées. Notamment celle présentée à Strasbourg, à l’Ancienne Douane au cours de laquelle j’ai pu montrer ma collection d’œuvres de Marcelle Cahn. Mais son état de santé ne lui permit pas de venir ce qu’elle a beaucoup regretté. Cette exposition avait fière allure. Il y avait des spatiaux, notamment celui édité par Petithory, dont j’avais fait la connaissance par l’intermédiaire de Marcelle Cahn.
Ses amis l’ont fait rentrer à la galerie Denise René, ce dont elle a été fort heureuse et fière. Cela lui assurait des rentrées d’argent régulières et aussi une visibilité sur la scène de Paris. Pour ma part, je ne trouvais pas le travail de Marcelle Cahn à sa place dans cette galerie, et hélas, la suite allait me donner raison. Denise René avait fait une fort belle exposition de Marcelle Cahn dans sa galerie, rue de la Boétie, et je suis allé avec l’artiste au vernissage où elle a retrouvé ses œuvres, celles qui avaient été dans sa chambre et d’autres qu’elle avait perdues de vue. Elle a été surprise de revoir des tableaux qu’elle croyait perdus. Il y avait ses amis dont Heurtaux, peintre exigeant qui a peint moins de 500 tableaux au cours de sa vie consacrée à la peinture. Mais quels tableaux !
Je la raccompagnais chez elle. Elle semblait fort heureuse d’être consacrée. Hélas, peu de temps après, la galerie Denise René connut des difficultés financières et le contrat avec Marcelle Cahn fut résilié, ses œuvres cédées à la galerie suisse Schlegel qui organisa par la suite une grande exposition à Zurich accompagnée d’un catalogue. J’ai fait le voyage à Zurich et j’ai retrouvé et admiré son travail. Elle me parlait bien sûr de ses amis. Le premier était Honegger qui l’a toujours soutenue et présentée à Denise René. Il est à l’origine du livre de Jean Arp qu’elle illustra. Ainsi elle est rentrée dans les collections de la fondation créée par Honegger et Sibylle Albers. Cette amitié était très forte et réciproque, faite d’une grande estime mutuelle.
Il y eu des liens noués avec le cinéaste Pierre Giesling qui a tourné, pour la Radio-Télévision Suisse Romande, un film avec Marcelle. Elle se promène à travers le quartier de la Défense et dit ce qu’elle pense de l’architecture qui l’entoure. Ce cinéaste avait constitué une v=belle collection d’œuvres de Marcelle Cahn, vendue bien des années après à la galerie Jade de Colmar. Une galerie si dynamique ! J’avais été commissaire de cette exposition et ainsi j’ai pu acquérir la gravure que Marcelle avait faite dans un cahier édité par une galerie milanaise. J’avais fixé, en accord avec le collectionneur, des prix raisonnables et cela a permis aux amateurs alsaciens d’acquérir ses œuvres. Leur valeur sur le marché était à ce moment-là très fluctuante : soit élevée, ce qui était justifié, mais les œuvres ne se vendaient pas, soit les prix étaient plus modérés et elles se vendaient .Comme la raison d’être d’une galerie est de vendre, les prix devaient se situer dans une gamme raisonnable.
Lors de mes visites, le croisais Mademoiselle Syring qui était très dévouée à Marcelle et qui a écrit de beaux textes à son propos. Par la suite, elle a regagné son pays et fait une belle carrière dans les musées d’outre-Rhin, tout en n’oubliant pas Marcelle Cahn.
Il me tient également à cœur de parler de Tomasello, un artiste sud-américain que Marcelle a accueilli à son arrivée à Paris. Elle l’ra présenté à ses amis et a ainsi été à l’origine de sa carrière. Je crois que c’est lui qui est à l’auteur de la phrase « Marcelle est une artiste pour les artistes. »
Michel Seuphor était un ami fidèle. Il lui rendit visite tant qu’il fut mobile. Je me rappelle avoir fait encadrer une belle œuvre de Seuphor pour Marcelle Cahn. Je lui faisais souvent des courses. Je me souviens avoir parcouru, une nuit d’hiver, le boulevard Charles de Gaulle de Neuilly à la recherche d’une agence de la Banque de France sans la trouver. Par la suite, j’ai découvert que cette agence avait fermé depuis longtemps. Marcelle avait une préférence pour cette banque qui offrait à ses yeux plus de garantie.
Le temps passe, nous vieillissons et Marcelle devient moins mobile. Maintenant, elle n’a plus envie de quitter sa chambre et je vais chez le traiteur qui n’est pas très loin de la fondation et j’achète un poulet que nous dévorons dans sa chambre dans une complicité gourmande. J’aimais lui apporter l’air de l’extérieur et elle était toujours friande des nouvelles régionales ou internationales, mais aussi artistiques et nous parlions souvent des récentes découvertes scientifiques. Elle en était curieuse et émerveillée. Cela me faisait de la peine de la voir décliner lentement. Par la suite, elle a gagné l’infirmerie où il lui arrivait de faire des collages et puis elle est tombée dans le coma ce qui rendait mes visites très douloureuses. Je crois avoir été l’un des tous derniers à lui avoir parlé le 19 septembre 1981 et je ne sais si elle m’a entendu. Puis sa fin est survenue le 20 septembre. Je me devais d’assister à son enterrement le 24 septembre.
Nous étions un petit groupe de fidèles qui l’ont accompagnée et elle nous a joué un bon tour ! Le cercueil est allé dans un autre cimetière. Le temps qu’il ne revienne nous permit de bavarder entre nous parlant d’elle entre autre. C’est cela Marcelle Cahn : elle a su réunir des gens autour d’elle et jusque au-delà de sa mort.
Pour conclure, je voudrais revenir sur la phrase « Marcelle Cahn est une artiste pour les artistes. » Elle a été une artiste par-dessus tout, malgré les difficultés qu’elle n’a pas manqué de rencontrer ; la guerre notamment qui a été une épreuve. Elle a toujours fait ce qu’elle voulait faire, sans concession, avec les moyens qu’elle avait sous la main. Elle se satisfaisait de peu, sans manquer de coquetterie. Elle savait donner vie aux moindres objets. Elle s’intéressait peu à l’argent et vivait fort modestement.
Merci, Marcelle, de m’avoir compté parmi vos proches. Merci d’avoir été un exemple pour moi et vos amis. Je ne vous oublie pas, ma chère Marcelle Cahn.
Jean-François Biellmann